A propos du film Le colorimètre portatif du professeur Hébert


" Le colorimètre portatif du Professeur Hébert", suivi de notes sur "Le Grand Collisionneur".
Réalisé par Hervé Bacquet en 2014. Bande son : Adrien Bacquet. Montage et retouche image : Arnaud Curie. Durée totale du film 3’33.
Photos et notes du réalisateur en amont du film. Esquisses exposées à l'UTA du 22 au 26 Octobre.



Fiction
Ce film d’animation numérique sonorisé met en scène un personnage fictif, le professeur Hébert, un instituteur qui n’est jamais visible à l’écran mais dont nous voyons le travail en cours de réalisation : un colorimètre permettant de mesurer les différentes nuances de la couleur diffractée.

Il a construit lui-même ce dispositif afin de montrer à ses élèves certaines spécificités de la perception visuelle, principalement dans les domaines de l’orangé et du  rouge car c’est dans cette zone du spectre que nous percevons nettement moins les différences entre les teintes.

Pour construire cette machine, Monsieur Hébert a consulté quelques ouvrages de colorimétrie, en particulier Optique physiologique d’Yves Legrand[1],  Théorie des couleurs de Goethe[2], Grammaire des arts décoratifs de Charles Blanc[3] et des notices de la Commission Internationale de l’Eclairage publiées en 1931.

Ses installations sont la reconstitution d’un laboratoire de science expérimentale, (un simulacre) que Monsieur Hébert a créé dans un réduit accolé à sa salle de classe, et ses expérimentations didactiques tiennent autant du spectacle de cirque que de l’austérité d’un laboratoire médical.

Par exemple, il cherchait à faire passer la notion de lumière sous les fourches caudines des lois de la réfraction découvertes vers 984 par Abou Saʿd al-ʿAlaʾ ibn Sahl, mathématicien perse à la cour de Bagdad, et reprises en Europe sous le nom de lois de Snell-Descartes[4].

Il tentait de reconstituer le principe du mirage appliqué à la couleur, faire apparaître une couleur là où elle n’était pas. Quand la température du sol était très élevée, l’homogénéité de l'air était modifiée, alors la lumière provenant d'un objet lointain était déviée, ce qui donnait l'illusion qu'elle provenait du sol : c’est cela le mirage inférieur de la couleur.
 
Reconstitution
J’ai reconstitué son colorimètre portatif, constitué de cent dix-sept pièces de métal, de verre et de papier, entièrement démontable, il prend place dans un livre très épais, presque de la taille d’une valise installée sur un plateau de bois noir circulaire et le tout est juché sur un trépied ou sur un robuste tabouret gris en fonction de la taille de son public. A la périphérie de ce livre, huit haubans métalliques télescopiques tendus par des lanières de caoutchouc soutiennent et déploient une parabole argentée plissée ainsi que de frêles miroirs en accordéon qui bruissent au moindre souffle.

La lumière orangée, au centre du colorimètre, est une source indirecte constituée d’une seule ampoule entourée de cinquante-sept tubes de verre et de filtres dans le domaine du rouge orangé à 635 nanomètres. Le professeur avait cousu et collé des papiers argentés jusqu’à l’obtention d’une sorte de parabole amplificatrice qui offre au regard de subtiles dissonances chromatiques.
Muni d’une ampoule géante, ce colorimètre agit comme un prisme et peut produire des rayonnements colorés dispersés grâce à ce paravent anguleux et souple, une sorte de machine soyeuse capable d’amplifier la saturation des sources lumineuses par les déplacements de la parabole.

La réalisation du film
Ce film est réalisé en stop motion[5] avec un appareil photo numérique en plan fixe, aucun mouvement de caméra, aucun zoom, chaque objet est déplacé de quelques millimètres et c’est la vitesse de ces déplacements qui fait le mouvement plus ou moins rapide et recalculé, ajusté lors du montage afin que les quinze mille photos puissent défiler à vingt-cinq images par seconde ou un peu plus.
Cette méthode de travail pose avant tout la question de l’anticipation car au moment des prises de vues, il est difficile d’obtenir une bonne fluidité des mouvements sans faire de nombreuses retouches par l’outil numérique[6], il s’agit de créer de toutes pièces, par un simulacre, un mouvement cohérent qui paraîtra naturel. 

Ce film n’est donc pas une captation mais une hybridation au sens où l’entend Edmond Couchot[7], une morphogénèse construite de l’intérieur, il exacerbe la vitesse de transformation des images et des objets[8]. Le décor devient mobile et organique, il donne du corps à l’image.
L’appareil photo (qui fait œuvre de caméra) est fixé dans l’axe médian du décor, face au tableau du maître et toute la salle de classe est ordonnée d’un point de vue symétrique. Un tableau noir entouré de deux petits cabinets de curiosité, eux-mêmes parfaitement symétriques.
Cette énergie sombre sʼamplifie tout au long du film et disparaît dans une surtension de lumière comme l’écho d’une étoile lointaine captée par inadvertance.









[1] Travaux de Wright et Pitt (Yves Legrand, Optique physiologique, Paris, Masson, p.45.) concernant la courbe de sensibilité différentielle le long du spectre.
[2] Goethe, Johann Wolfgang von, Théorie des couleurs, (titre original de la première édition : Zur Farbenlehre - Didaktischer Teil, 1810.  
[3] Charles Blanc, Grammaire des arts décoratifs, Paris, Librairie Renouard, 1882.
[4] Lois de Snell-Descartes : Willebrord Snell redécouvre les lois de la réfraction au début du 17 ème siècle et René Descartes les publie en 1637.
[5] Image par image
[6] Logiciel FINAL CUT PRO
[7] Edmond Couchot, Les promesses de l’hybridation numérique, in Images numériques, l’aventure du regard, sous la dir.  D’Odile Blin et Jacques Sauvageot, Ecole des Beaux arts de Rennes, 1996 – 1997, p. 32.
[8] Le numérique concerne  trois domaines technologiques :
1/prises de vue numérique en stop motion : les objets photographiés se transforment et se déplacent en fonction de la vitesse de défilement des images (entre 25 et 40 images/seconde), 2/post production image : montage du film, étalonnage, retouche des images (sur final cut pro) 3/ post production son : création de la bande son, mixage.


Le grand collisionneur,– 2018  
En référence au Grand collisionneur de hadrons du CERN...

Dessin animé. Crayon graphite. Stop motion. 4’46.
Réalisé par Hervé Bacquet
Musique originale : Adrien Bacquet et Jérôme Lorichon.
Montage et retouche image : Arnaud Curie


Le titre fait référence au « Grand collisionneur de hadrons »  mais de cet anneau expérimental qui augmente l’énergie des particules, je ne retiens que l’image d’une fabuleuse intensité qui questionne nos origines, à la fois une sensation d’énergie extrême et de vide, un espace où le dessin peut prendre place.

C’est à partir de cette énergie que naissent des gestes graphiques : tracés au crayon graphite et gomme pour créer le mouvement et une étrange luminosité. Ce dessin est un support pour traverser différentes réalités scientifiques et artistiques et ce dans plusieurs domaines : recherche sur la matière, architecture, mécanique, géologie, etc. Je cherche à instaurer un dialogue entre différentes manières de se mouvoir.
 
Les premières images de ce film montrent un point en mouvement qui traverse lentement l'écran, il semble flotter, s’enroule et rebondit, il trace petit à petit des figures elliptiques, des territoires, des chiffres, des volutes en boucle. Ces mouvements nous remémorent aussi les exercices répétitifs de tracé en perspective qui voudraient faire du corps une machine, mais la mécanique se détraque, le trait devient digressions et trajectoires endiablées...

Le point est une particule, il dit notre mobilité, il ne cesse de se métamorphoser et peut-être de nous réinventer.